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Walter Amirante

Le pouvoir d'une femme

Aggiornamento: 27 mar 2024

Livia Drusilla et le concept de l'émancipation des femmes dans la Rome impériale


de Walter Amirante


(Fresque dans la Villa des mystères, Pompei)



"Quid melius Roma?"

(Ouidius, Epistulae ex Ponto, 1.3.1)


"Felix qui quod amat defendere fortiter audet."

(Ouidius, Amores, 2.5.1)



Surtout à cause de la religion, une idée de femme folle et effrayante a été défendue. Selon les époques, et selon les cas, il y eut des modèles répugnants qui n'eurent qu'un seul but : celui de soumettre les individus à leur propre préjugé, à leur propre ignorance.


Les modèles étaient essentiellement les suivants : 1. la femme comme « aide » de l'homme, comme son sous-produit (né de sa côte); 2. la femme comme être « astucieux » principale cause du mal sur terre ; 3. la femme comme renieuse du mythe en vertu de sa volonté de connaître et de s'autodéterminer (par conséquent être immonde); 4. la femme objet parmi les objets à la merci du patriarcat (un être dont on pouvait abuser à volonté dans le but d'honorer les hommes et dieu); 5. le modèle de femme-esclave qui doit trouver sa réalisation dans l'obéissance au dieu et subséquemment de se faire son esclave (et se réjouir pour cela); 6. de femme justement pour le dieu obéissante, au service de la famille, des enfants, du mari (et en dépendre) et de serveuse qui doit se taire ; 7. de femme adultère ou possédée par des esprits mauvais, etc. 8. et, bien sûr, de femmes comme "reproductrice automatique" de l’espèce humaine, culpabilisée si elle n’engendre pas d’enfants pour Dieu, la communauté, ou la "patrie" - il est clair que beaucoup de ces aspects étaient - et sont - aussi à la base des nationalismes et des tyrannies.


Certes la femme devait être niée, mais selon une méthode bien précise, systématique : on exigeait d'elle la rééducation. Or, la perversion de l'action rééducatrice ne se limita pas seulement à l'imposition violente de ce projet inique, car on voulut même planifier le plagiat de sa psychologie intime - laquelle devait être brisée ; en d'autres termes : elle devait sincèrement vouloir ces modèles. Il y eut bien sûr très peu d'exceptions, dans les religions elles-mêmes, qui pourraient de toute façon difficilement être prises en exemple en raison de leur insignifiance : après tout, elles appartiennent au mieux à la catégorie des « servantes-éduquées » qui n'ont joué aucun rôle déterminant dans la cause de l'émancipation féminine.


Livie se trouva dans les conditions - morte Julie, fille d'Auguste - d'exercer un pouvoir absolu. L'empereur vieillissant n'a plus pu résister à sa volonté.

Toutefois la situation évolue, si on veut radicalement, si nous regardons d'autres sociétés. La société romaine était contradictoire sur ce point et la forme ne coïncidait pas toujours avec la pratique. C'était une société patriarcale et les femmes ne jouissaient d'aucun droit politique formel; cependant elles jouissaient de droits religieux tout à fait remarquables, comme nous allons le voir , ce qui représente pour nous une nouveauté, car historiquement à cause du christianisme ( dans presque toutes les formes qui ont été déterminantes ) et d'autres religions nous connaissons une femme qui n'a ni un droit politique ni religieux - encore aujourd'hui elles sont dévalorisés par les hommes religieux, sans aucun accès et au pouvoir et à l'égalité des sexes ( les mêmes opportunités sont donc refusées ). Si nous voulons un modèle ancien où la forme et la substance correspondent à la condition féminine, nous devons regarder la société étrusque. En tout cas on ne peut pas nier qu'il y eut, au sein de la société romaine, des femmes qui ont essayé de changer le cours des événements et qui ont posé les bases direct ou indirect de ce qui deviendra, au XVIIIe siècle, le début de la lutte pour l'émancipation des femmes et de l'égalité des sexes.


Livia Drusilla, en particulier, est l'exemple suprême. Une femme forte, intelligente, émancipée et capable de déterminer le destin de l'Empire romain ; c'est-à-dire de devenir « Dea ex machina » et « Imperatrix ». On n'en a pas assez dit sur elle. Le premier, dans l'après-guerre, à lui consacrer un travail considérable fut, en 1979, l'historien Vito Sirago. En plus de ses réflexions - il parlera en effet d'une « nouvelle condition féminine » en partant précisément de la figure de l'impératrice - Sirago réussit à dessiner l'image d'un personnage historique de premier ordre. C'est pourquoi nous nous appuierons sur le travail* de ce grand érudit, et nous le ferons aussi comme une sorte d'hommage ad memoriam.


Livie avait un objectif, à savoir « la ferme intention de racheter sa condition féminine » en exigeant « la reconnaissance de sa présence non seulement morale, mais aussi politique, en l'arrachant moment par moment à Auguste, mais surtout en luttant contre les femmes de la maison, d'abord Octavia, sœur de son mari, puis Giulia, sa fille née de sa première femme, Scribonie. « C'est un point crucial, un aut aut, qui nous permet de pénétrer dans sa psychologie et d'en comprendre le vécu. Nous ne savons presque rien de ses toutes premières années. Livie est née en 58 av.è.c. dans une société où les femmes de la classe romaine « haute » étaient soumises à des mariages d'intérêt politique, et vivaient en fonction de cela. Ces mariages arrangés - je voudrais ajouter, sans entrer dans les détails ici - n'ont rien à voir avec ceux de l'époque chrétienne ou ceux que l'on retrouve dans la pratique indienne.


Déjà âgée de 15 ans, Livie était « heureusement » mariée à son cousin Tibère Claude Néron. Néron était anti-césarien et en conflit perpétuel avec le triumvirat (par conséquent avec Octavien, qui deviendra plus tard Auguste). Après des vicissitudes rocambolesques, les rapports entre Néron et Octavien se stabilisèrent. Livie, âgée de 20 ans, était également présente à la cérémonie de pacification. Octavien la vit et elle en tomba amoureuse au premier instant. Le sentiment était réciproque et il l'a demandée en épouse. Quelques jours plus tard le rite civil avait été célébré et Livie accompagnée par son mari Néron ; tandis que le rite religieux, présidé par le pontifex, sera célébré des mois plus tard.


Une version un peu trop romancée qui ne tient pas compte de la dure réalité. Néron et Livie passèrent des moments infernaux en vertu de leur hostilité au triumvirat, subséquemment « il n'est pas concevable qu'une femme si éprouvée, si humiliée qu'elle devait se présenter comme suppliante à son ennemi, fût vraiment disposée au coup de foudre, si elle n'avait pas été amenée avec des raisonnements appropriés à accepter la part de l'éventuelle amoureuse. Le même consentement, immédiatement et promptement, du mari est l'indice que le geste avait été soigneusement étudié. »


Cela dit, Livie rejoint la glorieuse lignée de la gens Iulia. Son pouvoir personnel découlait aussi d'une condition de départ : la clarté des pactes. Car « c'était son soin de toujours rappeler à son mari les pactes conclus : c'est son soin de lui imposer le respect de ces pactes, c'est-à-dire l'application effective de son dessein par rapport à la conciliation, ainsi que l'annulation de tout souvenir et effet de l'ère des proscriptions ». La cruauté initiale d'Octavien Auguste fut pratiquement annulée par l'influence décisive de Livie. La domination d'Auguste sera caractérisée par la clémence et la violence n'aura lieu que dans des cas extrêmes et nécessaires.


Par conséquent un rôle loin d’être servile mais plutôt politique celui de Livie, dont la volonté dépendait de la pax romana et donc du sort de l'imperium. Son discours, repris ensuite par Sénèque, deviendra célèbre pour épargner la vie du traître Cinna. Les fruits de sa politique « renforceront sa position non seulement morale dans l'opinion publique, mais aussi effective pour la reconnaissance publique du sénat ».


Trois ans après le mariage, elle recevra la sacrosanctitas qui la fera monter au-dessus des briques romaines - subséquemment elle sera assimilée aux Vestales. Pendant un instant même le destin de Cléopâtre dépendait de Livie. La reine d'Egypte projeta de se rendre à Rome « confiante dans son intervention décisive » ; mais les événements prirent une mauvaise tournure et elle s’est tuée.

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En raison d'intrigues que l'on pourrait qualifier d'« hollywoodiennes », Livie était en mesure - Julie, la fille d'Auguste, est morte - d'exercer un pouvoir absolu. L'empereur, désormais âgé, ne réussit plus à contrecarrer sa volonté. Livie acceptait les règles du jeu, les règles de cette société grandiose et imparfaite - mais ce n'était point une acceptation passive, ou servile ; au contraire, elle a eu la capacité d'exploiter et de contourner ces règles. Les femmes étaient, certes, « formellement » exclues de toute possibilité de carrière, mais en même temps, tout cela s'annulait sur le plan de la religion païenne, où une femme pouvait prétendre à des postes. Livie chercha donc « à saisir tout ce que pouvaient offrir les multiples cultes religieux ».


Pendant ce temps le culte de la déesse Cybèle s'est radicalisé - peut-être précisément par la volonté de Livie elle-même - « car ce culte répondait à la nouvelle ligne politique de centralisation des pouvoirs, à l'unification des autres cultes en se superposant comme supérieur en ce que Cybèle est mater magna deum, mère de tous les dieux (...) ». Nombreuses furent en effet les statues de la déesse Cybèle avec le visage de Livie. Donc, sur le plan religieux, elle aura la même importance qu'Auguste. Mais il n'y a pas que ça. Impossible de suivre les séances du Sénat, elle parviendra néanmoins à intervenir en conseillant son mari, préfiguration voltairienne du souverain dirigé par le philosophe. Et les habitants « de Rome, d'Italie et des provinces sentent peser sur leur vie la présence de Livie (...) ».


Pourtant l'indépendance n'était point seulement une question de caractère, de religion, de politique indirecte, mais surtout d'économie (et c'est un aspect fondamental que peut nous parler beaucoup aujourd'hui). En effet Livie « administre ses biens, séparés de ceux de son mari : au cours des vingt dernières années de la vie d'Auguste, elle possède le ius trium liberorum (bien qu'elle n'ait que deux enfants !) qui lui permet une pleine disponibilité non seulement administrative, mais surtout héréditaire ».


Mais le vrai tournant, et il faut le dire, fut la mort d'Auguste à travers laquelle il « consacre les pouvoirs effectifs — religieux politiques financiers — de Livie. » Elle, par testament, rejoindra définitivement la gens Iulia et à partir de ce moment elle s'appellera Augusta. Elle vivra jusqu'à 86 ans. Pourtant le rapport avec son fils Tibère - qui vivait probablement un sentiment d'infériorité à l'égard de sa mère - se sont détériorées, c'est pourquoi, à la mort de Livie, il a interdit sa déification sous prétexte « que telle était la volonté de la défunte ».

Tibère empêcha aussi Livie de devenir Mater Patriae. C'est Claude, en 41, qui réparera le tort en déifiant Livie « afin de l'assimiler à Auguste même dans le culte divin après la mort. Et cet à partir de cette époque que culte religieux et propagande politique, en évoquant les deux figures d'Auguste et de Livie, insisteront sur le concept de la pleine égalité du mari et de la femme comme fondateurs de la forme impériale ».


Livie n'était pas une exception. Après elle, d'autres femmes la prendront pour exemple. Au cours des dernières années d'Auguste, la pratique du mariage d'intérêts sera également et considérablement réduite et « l'empereur lui-même divorce en choisissant la femme qu'il croit ; mais les femmes de la haute société choisissent aussi les maris qu'elles croient (voir Agrippine mineure). Peut-être que grâce à l'exemple de l'Augusta, ou en vertu des différentes situations sociales, on ne conçoit plus les combinaisons matrimoniales. »


La société romaine, bien que certains aspects doivent être modifiés ou améliorés, peut encore être un modèle pour nous et la figure de Livie en est la preuve. Mais s'il est vrai - et c'est tout à fait vrai - que pour Mahler la tradition n'est pas l'adoration des cendres, mais la garde du feu ; alors la figure de Livie représente un phare dans la tempête, une idée vraie et concrète de femme qui est constamment animée par le désir profond de se réaliser en toute autonomie - relationnelle sociale politique économique - ; une femme poussée par la volonté de rachat, qui veut la reconnaissance de sa propre personne et de ses capacités - l'intelligence et l'obstination féminine peuvent en effet gérer l'État et garantir la paix et la prospérité.


Une femme, enfin, qui poursuit avec obstination l'égalité des sexes - objectif non moins crucial - sans jamais baisser la garde ; un droit, qui ne peut être une simple « concession », mais qui doit être arraché en pliant la société patriarcale à travers une insurrection d'abord intérieure, puis politique, ensuite sociale, culturelle - cette idée de femme, complète et radicale, est et a toujours été le véritable spectre qui rôde dans le monde.








Bibliographie


*Vito A. Sirago, Livia Drusilla, Una nuova condizione femminile, estratto da Invigilata Lucernis, Rivista dell’Istituto di Latino Università di Bari - 1 1979



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